Archives olfactives des senteurs alpines évocatrices du paysage

A Tschlin, village de montagne grison, un projet culturel réveille les souvenirs de certaines odeurs; en s’y rendant, des émotions enfouies dans la mémoire ressurgissent. Ces archives particulières ont un prolongement dans la nature où l’on éprouvera de nouvelles émotions en respirant à plein nez.

Les «Archives des souvenirs olfactifs alpestres» sont nées à Tschlin d’une initiative culturelle indépendante baptisée Somalgors74. Répondant à un appel public, des habitants de Basse Engadine et des personnes intéressées d’autres régions alpines ont exprimé leurs souvenances de senteurs familières et les ont déposées aux archives. Pourtant, dans la vieille étable qui abrite ce répertoire olfactif et sert d’atelier, on trouve autre chose qu’un catalogue de réminiscences couchées sur papier.

L’étable héberge dix caisses en bois de diverses tailles et formes. Ces caisses sont disposées sur une grande table, groupées comme les maisons d’un village. Elles incitent les visiteurs à explorer le potentiel mémoriel de leur nez. On trouve dans chaque caisse un objet en rapport avec une évocation olfactive. L’odeur proprement dite a été savamment recréée par l’artiste Curdin Tones qui a longuement bidouillé des matières indigènes. Il a obtenu un liquide préservé dans de petites fioles. Il nomme sa démarche «matérialisation d’histoires issues du paysage».

L’idée de créer des archives basées sur des odeurs a surgi lors d’une discussion sur l’effet Proust. En flairant certaines odeurs, on se remémore soudainement de vieux souvenirs autobiographiques. Marcel Proust a décrit l’effet déclencheur d’une madeleine dans son roman Du côté de chez Swan (1913). La mémoire persistante des odeurs (r)éveille des émotions enfouies. Les archives organisent en outre ateliers et actions artistiques, occasions de découvrir comment des senteurs ont la capacité de connecter sensoriellement les individus à la culture alpestre et aux paysages alpins.

Cependant, celles et ceux qui souhaitent mieux appréhender le paysage grâce à leur odorat et approfondir cette relation, doivent d’abord passer par une phase d’apprentissage. Les premiers exercices ont été testés dans le cadre de projets culturels lancés par Somalgors74. Des balades olfactives invitent à la découverte du paysage. Les participant·es apprennent à affiner leur odorat; la perception par le nez des interactions du monde végétal et animal ouvre leur esprit aux multiples facettes de la biodiversité et des paysages.

Le projet intitulé «follow your nose» – soit: «Laissez-vous guider par votre nez» – entend diffuser auprès du grand public le vaste potentiel de l’odorat au niveau de la perception des paysages. En collaboration avec Somalgors74, la Fondation suisse pour la protection et l’aménagement du paysage met sur pied des ateliers ouverts au public et développe outils et exercices pédagogiques faisant appel à la curiosité pour l’approche des paysages par les narines. Il s’agit d’améliorer les capacités olfactives et de faciliter la verbalisation des expériences liées aux odeurs.

Dans le cadre de sa recherche d’«approches innovantes», le FSP soutient ce projet financièrement. A terme, l’idée est d’aboutir à une forme de guide odoriférant, afin que de plus en plus de nez soient sensibilisés et que tous les sens (dont l’odorat souvent négligé) soient mis en lien avec les richesses paysagères et leur valeur sensorielle.

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14.06.2022